Qu’est-ce qu’on célèbre ? La Journée panafricaine des femmes dans un contexte d’injustice reproductive 

Il y a des vérités qu’on évite de dire à voix haute, pas parce qu’on ne les connaît pas, mais parce qu’elles sont gênantes. L’avortement non sécurisé en fait partie. Depuis des décennies, c’est une crise de santé publique négligée qui tue des milliers de femmes chaque année, de manière silencieuse, violente et disproportionnée, touchant surtout les femmes jeunes, pauvres, rurales ou simplement pas assez chanceuses pour être nées dans des systèmes qui ne font pas de leur bien-être une priorité. 

Alors qu’on célèbre la Journée panafricaine des femmes le 31 juillet, je me rappelle que notre plus grande trahison n’est pas ce qu’on n’a pas, mais ce qu’on a promis et pas tenu. Le Protocole de Maputo, adopté il y a plus de vingt ans, était un engagement audacieux et nécessaire en faveur de la justice reproductive sur ce continent. Les femmes meurent d’avortements non sécurisés, non pas parce qu’on n’a pas les outils pour les sauver, mais parce qu’on n’a pas la volonté politique de leur faire confiance. Chaque jour où on tarde à mettre en œuvre le Protocole, c’est une décision qui dit aux femmes africaines que leur vie est négociable, que leurs droits sont facultatifs. Et ça, on ne peut plus l’accepter.  

En Afrique subsaharienne aujourd’hui, trois quarts des avortements sont pratiqués dans des conditions dangereuses. 

Pour 150 avortements, une femme meurt. Ce n’est pas juste une statistique. C’est un verdict. Un verdict qui nous dit que la vie des femmes et des filles est toujours considérée comme sacrifiable. Ces morts ne sont pas une fatalité. Ce sont des choix. Le choix de criminaliser l’avortement. Le choix de stigmatiser les femmes. Le choix de prétendre que refuser aux femmes l’accès à des soins d’avortement sécurisés est en quelque sorte moralement supérieur. Mais voici la réalité : restreindre l’avortement ne l’empêche pas d’exister. Ça garantit juste que quand il se produit, c’est dans le silence, la honte et dans des conditions qui privent les femmes de leur dignité, de leur santé et, trop souvent, de leur vie.  

L’Organisation mondiale de la santé définit l’avortement non sécurisé comme une procédure d’interruption de grossesse pratiquée soit par une personne non formée à cette intervention, soit dans un lieu qui ne répond pas aux normes médicales minimales, soit les deux. En réalité, ça veut généralement dire une jeune femme qui saigne seule sur un sol en terre battue. Une mère de trois enfants qui arrive trop tard dans un hôpital déjà surpeuplé. Une fille qui avale des herbes toxiques parce qu’elle n’a personne vers qui se tourner. 

Et pourtant, l’Afrique a déjà la réponse.  

En 2003, l’Union africaine a adopté le Protocole de Maputo, un instrument des droits humains qui reconnaît le droit des femmes à l’avortement dans certaines circonstances : lorsque leur vie ou leur santé est en danger, en cas de viol ou d’inceste, ou en cas d’anomalie fœtale grave. Ce fut un moment historique : la reconnaissance explicite que l’autonomie reproductive est un pilier de la santé, de la justice et de l’égalité. Mais 20 ans plus tard, la plupart des gouvernements africains n’ont pas pleinement mis en œuvre cette promesse. Beaucoup continuent de criminaliser totalement l’avortement ou érigent des obstacles insurmontables qui font de l’accès à l’avortement un droit légal en théorie, mais une illusion dans la pratique.  

En tant que clinicienne, je connais trop bien les conséquences de cet échec. Des femmes arrivent dans notre centre avec des avortements incomplets et des saignements importants, ou avec une septicémie et des lésions internes causées par des objets introduits de force dans leur vagin ou leur anus. Certaines survivront. Beaucoup ne survivront pas. Et même si elles survivent, elles emporteront avec elles un fardeau invisible : les séquelles psychologiques causées par la douleur, la peur et la honte.  

Mais ce ne sont pas seulement les corps qui me hantent. C’est le sentiment d’injustice qui sous-tend tout cela. La façon dont les lois, écrites principalement par des hommes, définissent ce que les femmes peuvent faire de leur corps. La façon dont les décisions relatives à l’avortement sont retirées de leur contexte et définies uniquement en termes moraux ou politiques, tandis que les réalités vécues par les femmes et les filles qui sont contraintes de prendre des décisions impossibles sont niées ou effacées. C’est une chose de parler de la vie au Parlement, c’en est une autre de tenir la main d’une adolescente mourante qui s’éteint parce qu’elle n’a pas pu accéder à des soins à temps. 

L’impact va bien au-delà de la clinique. Le coût économique des avortements non sécurisés s’élève à plus d’un demi-milliard de dollars américains chaque année rien qu’en frais de santé directs, et près d’un milliard supplémentaire en perte de revenus familiaux due à l’invalidité de longue durée. Mais quel est le coût d’une fille perdue à cause d’une septicémie ? D’une mère enterrée trop tôt ? Quel est le coût pour une nation qui réduit au silence la moitié de sa population ? 

Nos gouvernements doivent dépénaliser l’avortement et s’engager à mettre pleinement en œuvre le Protocole de Maputo. 

Cela implique notamment d’élargir les motifs juridiques et d’abroger les lois punitives. Cela implique également de veiller à ce que les systèmes de santé puissent fournir des soins d’avortement sûrs, respectueux et abordables dans les hôpitaux, par des sages-femmes formées ou dans le cadre de soins autogérés avec un soutien médical. Ça veut aussi dire investir dans les conditions qui réduisent les grossesses non désirées, comme une éducation sexuelle complète, l’accès à des contraceptifs modernes et un système de santé qui respecte la dignité des femmes.  

On doit soutenir les travailleurs de la santé avec des formations, une protection juridique et des systèmes qui leur permettent de fournir des soins sans crainte ni honte. Et on doit changer le discours public, passer du silence et du tabou à un discours fondé sur l’empathie, la science et la justice. L’avortement n’est pas une faute morale. Ce n’est pas un péché. C’est un soin de santé. Et dans de nombreux cas, c’est une question de survie.  

En cette Journée panafricaine des femmes, nous devons appeler à la dépénalisation de l’avortement et à l’investissement dans des systèmes de santé maternelle qui placent la dignité, l’accès et les soins au centre. La justice reproductive a besoin de plus que des mots, elle a besoin de lois audacieuses, d’un financement durable et de la volonté politique de donner la priorité à la vie des femmes et des filles.


Par Dr Stellah Bosire, avocate, médecin et directrice exécutive du Centre africain pour les systèmes de santé et la justice, partenaire du SAAF au Kenya. 

Image: Getty Images/Images of Empowerment.