Depuis plus d’une décennie, le Cameroun connaît une insurrection permanente du groupe islamique Boko Haram dans la région de l’Extrême-Nord et une crise armée socio-politique dans les deux régions anglophones du pays. Ces crises ont entraîné des millions de déplacements internes qui ont affecté les femmes et les filles de manière disproportionnée. Un nombre impressionnant d’écoles (80 %) et d’établissements de santé (38 %) sont hors service, et les violences sexuelles ont augmenté de façon exponentielle. Ces régions ont connu une recrudescence des viols, de l’inceste, des grossesses non désirées et des grossesses d’adolescentes, de l’infanticide, des avortements à risque et une augmentation de la morbidité et de la mortalité maternelle.
Avec le soutien du SAAF, CYJULERC s’est efforcé de plaider en faveur de l’application de la loi sur l’avortement par les autorités judiciaires et les agents de santé, afin de permettre aux victimes de viol d’accéder à des soins d’avortement légaux et sécurisés.
Les survivantes de viol ont droit à un avortement sécurisé en vertu de la loi au Cameroun.
La loi sur l’avortement au Cameroun autorise l’avortement légal dans certaines conditions, notamment lorsque la grossesse résulte d’un viol. Cependant, nous avons observé que malgré l’augmentation des cas de viol dans les régions en crise, la loi est très peu ou mal appliquée. Nous avons également constaté qu’en raison d’un manque de connaissance de la loi, les victimes de viol ne demandent pas les certificats dont elles ont besoin pour faire valoir leur droit à des soins d’avortement sécurisé et légaux dans les établissements publics.
La pratique courante veut que les procureurs classent toutes les affaires de viol avant les procès, et la plupart des juridictions organisent de très longs procès pour prouver que la grossesse est le résultat d’un viol. Cela signifie que les jugements sont souvent rendus alors que l’âge gestationnel est supérieur au terme autorisé pour l’avortement légal. Cela prive les survivantes de leur droit d’accès aux soins d’avortement en vertu de la loi.
La difficulté d’accéder au certificat médical requis contenant des preuves suffisantes pour soutenir une accusation de viol (y compris le manque habituel de témoins pour corroborer les témoignages des survivantes) constitue un énorme obstacle à l’accès aux soins d’avortement légaux. La plupart des procès se terminent par des verdicts qui nient le droit à l’avortement légal.
Nous informons les femmes et les filles de leur droit à un avortement sécurisé et légal.
Nous donnons aux femmes et aux filles les moyens d’acquérir des connaissances sur leurs droits à des soins d’avortement sécurisé légaux dans les établissements de santé publics et nous les sensibilisons à la procédure de dépôt de plainte lorsqu’elles ont été violées. Les plaintes déposées par les femmes dès qu’elles sont violées constituent une preuve valable du viol pour les grossesses qui en résultent ultérieurement. Les demandes d’attestations d’avortement ont augmenté car les victimes de viol sont plus nombreuses à porter plainte et à bénéficier de l’application de la loi sur l’avortement.
Nous formons également les procureurs d’État pour nous assurer qu’ils sont conscients de leurs devoirs en vertu de la loi et nous délivrons des certificats ordonnant aux agents de santé de fournir des soins d’avortement aux survivantes de viol. Les victimes de viol reçoivent maintenant des certificats d’avortement de la part des procureurs, et 30 femmes et filles ont reçu des soins d’avortement légaux sans avoir besoin de passer par des procès longs et émotionnellement éprouvants.
CYJULERC s’efforce également de sensibiliser les autres acteurs de la santé et des droits reproductifs à la nouvelle dispense de procédure pénale qui abolit le besoin de témoins et de corroboration. Ils savent désormais que la déclaration et le témoignage de la victime d’un viol suffisent à eux seuls à étayer une infraction de viol.
Nous gardons l’espoir que cette amélioration sur l’application de la loi sur l’avortement s’étendra à d’autres juridictions afin que toutes les survivantes de viols à travers le Cameroun puissent faire des choix éclairés et accéder à des soins d’avortement légaux lorsqu’elles en ont besoin.
Par Esther Ayuk, présidente du Cameroon Young Jurists Legal Resource Center (CYJULERC), un partenaire de SAAF au Cameroun.