« Ça fait 10 ans que j’accompagne des femmes qui avortent »

Je m’appelle Isabel Rodríguez Casanova, j’ai 30 ans et je suis la coordinatrice de projet pour REDMYH.

Mon histoire avec ce boulot a commencé quand j’étais ado et que j’ai été abusée sexuellement par quelqu’un un peu plus âgé que moi. Il y a eu un abus de pouvoir, et je me suis retrouvée sans info, sans réseau de soutien et enceinte à 14 ans.

À l’époque, je ne savais même pas que j’étais enceinte jusqu’à ce que, à presque six mois, ma famille s’en rende compte et m’emmène chez un gynécologue. Je me souviens qu’ils voulaient que j’avorte.

Malheureusement, vu le stade avancé de ma grossesse, on leur a dit que ce n’était pas possible, que ce n’était pas légal dans mon pays.

Mon fils est né quand j’avais 14 ans, et un mois plus tard, j’ai eu 15 ans.

Je pense qu’être mère à 14 ans est quelque chose qu’une fille n’imagine jamais : tout à coup, s’occuper d’une poupée, d’un jouet, devient une réalité. C’est quelque chose qui nous est imposé, quelque chose que nous n’avons ni cherché ni voulu.

J’ai vraiment compris ce qu’était l’avortement quand j’ai été confrontée à une autre grossesse non désirée.

Je savais qu’un enfant me suffisait et que je ne pouvais pas en élever un autre, car je commençais tout juste à me concentrer sérieusement sur mes études.

Ma première expérience de l’avortement a été clandestine : je suis allée chez un médecin pour subir une intervention chirurgicale. Je me souviens qu’ils m’ont fait payer très cher, que j’avais rassemblé toutes mes économies et vendu tout ce que je pouvais pour payer cet avortement. Ils m’ont endormie, et quand j’ai ouvert les yeux, la seule chose que je savais, c’est que je n’étais plus enceinte.

À 19 ans, j’ai dû faire face à une autre grossesse non planifiée, et j’ai réalisé que l’éducation sexuelle que j’avais reçue ne m’avait pas été utile. Je ne savais pas comment éviter une grossesse, car je ne comprenais même pas ce qu’était une grossesse, ni ce qui arrivait à mon corps.

Je me souviens qu’une amie m’avait dit qu’elle avait entendu parler d’un médicament et qu’on lui avait conseillé de le prendre à Mexico. Je me souviens avoir utilisé ce médicament, mais il s’avère que je ne l’ai pas utilisé correctement. Je pensais avoir interrompu ma grossesse, mais elle s’est poursuivie, et j’ai réalisé que j’étais encore enceinte à presque quatre mois, moment où j’ai cherché une aide supplémentaire et où j’ai réussi à interrompre ma grossesse au deuxième trimestre.

Je pense qu’avec cette deuxième expérience, contrairement à la première, j’étais consciente de la réalité de l’accès à l’information, aux médicaments, mais aussi à un soutien complet. Cependant, j’ai encore vécu cette expérience seule, avec mon fils qui dormait à côté de moi, mettant ma vie, sa vie et tout ce que j’avais fait jusqu’à ce moment-là en danger.

À la suite de cette deuxième expérience, j’ai dit « ça suffit ».

Je me suis demandé comment il était possible que nous n’ayons pas accès à ces informations vitales. J’ai commencé à chercher des espaces sûrs où je pouvais parler de la question de l’accès à l’avortement.

J’ai rejoint REDMYH en tant que bénévole, alors que c’était une nouvelle organisation qui ne comptait que trois employés. Ils étaient tous spécialistes en communication et quand je les ai rencontrés, j’ai tout de suite eu envie de me lancer dans une carrière dans l’éducation sexuelle.

À 21 ans, alors que j’étais sur le point de terminer mes études, j’ai réalisé que j’étais la personne vers qui tout le monde se tournait pour obtenir des infos, que j’avais toujours des préservatifs sur moi, et c’est ainsi que je suis devenue conseillère en sexualité. Je pense que ma vie a changé à partir du moment où je suis entrée chez REDMYH. Un espace qui ne m’a pas seulement accueillie, mais qui m’a aussi donné les moyens de devenir une leader, ce que je ne savais pas qu’une jeune personne avait le droit de faire.

Ça fait maintenant 10 ans que j’accompagne des avortements.

Je suis aussi la mère d’un fils de 15 ans. Je n’aurais jamais pensé qu’on irait aussi loin et qu’il serait un allié aussi solide dans ce boulot. Ensemble, on a récemment aidé une de ses camarades de classe à avorter. Elle lui avait dit qu’elle n’avait pas eu ses règles et il lui a parlé de moi et de mon boulot. J’ai aidé cette fille et environ deux mois plus tard, je l’ai revue à la remise des diplômes de mon fils.

Le jour de la remise des diplômes, la fille est venue vers moi, m’a serrée dans ses bras et m’a dit merci beaucoup parce que grâce à moi, elle avait obtenu son diplôme. Elle m’a dit : « Je pensais que ça allait être horrible, je pensais que j’allais le regretter, et je te suis très reconnaissante parce que rien de tout cela ne s’est produit. »

C’était la même école où j’avais moi-même été victime de violence, où je n’avais reçu aucun soutien et où on m’avait juste dit que j’avais gâché ma vie en tombant enceinte.

Je me suis donc reconnue en elle : je n’avais pas pu assister à la remise des diplômes du secondaire parce que j’avais un bébé d’un mois. Et quand elle m’a dit ça, j’ai eu l’impression d’obtenir moi aussi mon diplôme, là, à ce moment précis, avec mon fils, parce qu’on avait enfin franchi cette étape. La voir dans sa toge de diplômée m’a fait comprendre que c’est exactement à ça que sert le droit de choisir. Pour ne pas avoir à mettre sa vie entre parenthèses, pour pouvoir écrire sa propre histoire, pour pouvoir continuer à faire ce qu’on veut et pour que rien ne nous arrête.

Être une accompagnatrice d’avortement qui, par empathie et amour, permet aux autres de prendre des décisions concernant leur corps, c’est ma façon de transmettre cet amour que j’aurais aimé recevoir moi-même. On a créé un réseau de soutien que je n’avais pas moi-même, parce que j’avais besoin de savoir que ce monde donnerait aux femmes et aux filles le choix.


Entretien avec Isabel Rodríguez Casanova, coordinatrice de projet chez REDMYH– un partenaire du SAAF au Mexique.